La cogestion à la française

Le paritarisme, véritable alambic redistributif des prélèvements obligatoires, a besoin d’une refonte radicale Les enjeux sont formidables. Réformer un système de santé au bord de l’apoplexie, restructurer celui des retraites devenu obsolète, celui de la formation professionnelle, opaque, inadapté voire dévoyé… Il faut donc profondément rénover le modèle social français en le restructurant pour l’adapter à ces nouveaux défis – la révolution digitale, l’évolution démographique et celle du salariat, etc. À condition de surmonter un certain nombre de blocages de l’actuelle démocratie sociale, dont la gestion paritaire d’une majeure partie de ses domaines. Postures idéologiques, antagonisme traditionnel et positions acquises induisent un dramatique conservatisme, un immobilisme enlisant toute velléité de modernisation. Un défi lancé aux acteurs futurs de la démocratie politique. Un candidat à la présidentielle ne peut pas parler de ça?! Tant le sujet fâche et risque de provoquer nombre d’acteurs de la vie sociale. Certes, il peut gloser à l’envie sur les métastases actuelles de la démocratie politique et ses remèdes. Mais, déni, tabou, ou vache sacrée, il ne va pas aborder la quasi-mort clinique de la démocratie sociale. L’une des plus mal en point de toute l’Europe. Ce formidable alambic redistributif des prélèvements obligatoires, si gourmand en points de PIB – 6 % – a pourtant besoin d’une refonte radicale. Ce mutisme entourant les performances du paritarisme est largement partagé. À l’heure indiscutée des grandes mutations obligées, des réformes et restructuration de ces fameux amortisseurs du modèle social français, il existe en fait un singulier verrou bloquant toute transformation à la hauteur des enjeux. Le paritarisme. Est-il l’outil adapté pour la transformation systémique de notre système de protection sociale?? Quelle est sa valeur ajoutée, sa légitimité comme levier de changement?? Impossible de faire l’économie de ces interrogations. Pourtant elles sont tues. Lorsqu’il s’agissait de répartir la richesse opulente des Trente glorieuses, l’entente allait de soi au sein de ce système créé dans l’enthousiasme de l’immédiat après-guerre. Chacun – syndicats de salariés et d’employeurs – goûtait aux fruits de la croissance, les distribuant selon une solidarité évidente et des structures de conception simplissime. Les années passant, il s’est métamorphosé au point de devenir un modèle d’une complexité insensé. Sa logique, elle, est immuable. Par nature, le paritarisme pousse au compromis, à des réformettes, légères, n’écornant pas les situations acquises. Est-ce le meilleur levier de changement?? Car tout a radicalement changé. Ces missions d’intérêt général initiées grâce à des structures simplissimes sont devenues d’une opacité rare. Les alambics de décision se sont formidablement complexifiés, fossilisés, alors que l’époque réclamait au contraire davantage de réactivité et de performance dans un contexte de pénurie de ressources. L’évolution des formes de travail, les aspirations de la génération Y, la montée en puissance de l’économie sociale et solidaire, tout comme les particularités développées par les territoires, mettent en échec les anciennes normes sociales négociées pour un autre temps. “Par nature, le paritarisme pousse au compromis, à des réformettes, légères, n’écornant pas les situations acquises. Est-ce le meilleur levier de changement?? ” Selon certains experts, l’emploi et la formation professionnelle appellent tous deux une “réforme importante” qui, à terme, pourrait passer par la création d’un “régime unique de Sécurité sociale professionnelle chapeauté par un organisme unique de type Unedic gérant l’ensemble des questions liées au parcours professionnel”. L’adaptation du système de santé aux actuels défis du digital, de la transformation des pratiques, comme la rationalisation du système des retraites, sont autant de chantiers stratégiques dépendant des partenaires sociaux, décideurs bicéphales et paritaires. Mais de quel paritarisme s’agit-il?? Le Larousse répond?: “c’est un courant d’idées qui préconise le recours aux organismes paritaires pour traiter des accords entre patronat et salariat, et une technique de gestion dans laquelle les deux parties sont représentées à parité et prennent des décisions selon les règles strictes de répartition des voix”. En fait, il cohabite trois paritarismes bien différents?: celui dédié à la négociation, où les partenaires sociaux fixent les normes de la vie sociale… avec comme champ immense celui des règles du jeu des relations sociales, et plus largement l’encadrement du travail. Bilan?? Ont-ils réussi à les adapter aux besoins de flexibilité de l’époque, de mobilité des salariés?? Ensuite, le paritarisme qui se consacre à la gestion des organismes sociaux (caisses de retraite, d’assurance maladie, instances de formation professionnelle, etc.). Enfin, celui qui intervient dans le domaine des décisions de justice par le biais tribunaux des prud’hommes. “Il cohabite trois paritarismes bien différents?: celui dédié à la négociation, ensuite, le paritarisme qui se consacre à la gestion des organismes sociaux. Enfin, celui qui intervient dans le domaine des décisions de justice par le biais tribunaux des prud’hommes” C’est le deuxième, dédié à la gestion, qui focalise le plus de critiques. Dans tous les domaines, mais plus particulièrement dans celui de la formation professionnelle. Emmanuel Macron ne dénonce-t-il pas comme une majorité des décideurs politiques, l’opacité des 32?milliards et un système “capturé par les décideurs publics, par les organisations politiques et syndicales” ? Tandis que Bruno Lemaire et Nicolas Sarkozy prévoyaient la disparition pure et simple de ce type de gestion partagée. Avec une collecte des fonds de formation non plus confiée aux OPCA paritaires mais à l’Urssaf. Auteur d’un récent rapport sur le paritarisme, le député socialiste Jean-Marc Germain préconise, lui, la création d’un régime d’assurance formation géré par une agence nationale pour l’évolution professionnelle. “Le système paritaire français n’est pas improductif, mais il est nébuleux”…